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-Light Bird - pièce pour danseurs et grues de Mandchourie
CREATION 2015 - Chorégraphie de Luc Petton & Marilén Iglesias-Breuker



Note d'Intention

La question qui s’est posée à nous chorégraphes, Marilén Iglesias-Breuker et moi-même, dès le départ a été celle du partage avec l’autre, un « autre » d’une espèce différente de la nôtre. Quelle possibilité de communication, de jeu avec lui ? Quel espace créer pour que la relation puisse exister, sans toutefois lui céder toute la place ? Comme le dit la philosophe Vinciane Despret « chez les animaux, c’est avec le corps qu’on accueille ». Qui donc mieux que le danseur pour être ce vecteur de relation ?

La chorégraphie pose des intervalles de temps pour que cet accueil se fasse : celui de l’oiseau par les danseurs et celui des danseurs par les oiseaux. En répétition, les grues sont curieuses comme des enfants, viennent fouiller, scruter, écouter et, par leur taille, prennent une place royale dans l’espace de jeu. Le danseur reste attentif et répond de façon à la fois précise et aléatoire. La scène devient lieu de coexistence où les cinq interprètes de générations différentes, de 19 à 58 ans, de cultures et de formations diverses, évoluent et s’adoptent en se respectant, tout comme ils adoptent les grues.Partager le plateau avec les grues nous fait entrer dans une autre temporalité, comme dans un temps suspendu, une sorte de trêve à la réalité quotidienne. La grue est un animal paradoxal, on sent chez elle le préhistorique et le métaphysique cohabiter de façon stupéfiante. Malgré l’imprégnation elle reste un oiseau potentiellement dangereux. On ne croise pas impunément le regard d’une grue sans que quelque chose ne vibre, quelque chose qui relève de l’émotion immémoriale. 

Danser avec des oiseaux implique une disposition à l’imprévisible. Les interprètes, danseurs et musicien, ont développé une aptitude à l’aléatoire tout en restant vigilants à la trame du spectacle. La composition est à la fois structurée et «entr’ouverte». Elle trouve sa conclusion sur le plateau avec une part de création in vivo. Ce caractère se retrouve également dans la scénographie de Patrick Bouchain. Le sol, constitué de peaux, devient un vivant biotope sujet à froissements, à mouvements et respiration. Rien de ce qui est donné a priori ne reste figé et univoque.

 De même, la lumière de Philippe Berthomé crée un espace dynamique qui ponctue l'action, tantôt la précédant tantôt la suivant. Les grues se sont révélées beaucoup plus réceptives à la musique que les autres espèces, avec une écoute très fine, sensible aux variations les plus subtiles, une caractéristique intégrée par Xavier Rosselle dans la composition et restituée en direct sur scène. Le musicien, le souffle, devient partenaire de jeu aussi bien pour les danseurs que pour les grues.

La grue de Mandchourie, malgré le symbole d’immortalité qu’elle incarne, reste paradoxalement une espèce menacée d’extinction en raison de la destruction de son biotope naturel. Le taux de reproduction en milieu naturel étant relativement faible certains zoos de par le monde participent à la sauvegarde de cette espèce en faisant éclore des oeufs sous contrôle vétérinaire. Le Parc de la Tête d'Or à Lyon a permis d’engager tout le processus d’éclosion et de sociabilisation, poursuivi ensuite au parc zoologique d’Amiens Métropole, collaborateur de la première heure, qui accueille aujourd’hui les six oiseaux de la création et participe activement et quotidiennement au projet. Les descendants de ces oiseaux feront partie d’un programme de sauvegarde des espèces par la réintroduction et le repeuplement en milieu naturel. Un parallèle entre Nature et Nature humaine apparaît ainsi. Préserver nos espaces naturels, c'est aussi préserver nos espaces culturels, nos territoires de l'imaginaire. La psyché de l'homme s'est élaborée de pair avec l’évolution de son environnement dont elle est l'écho. Elle vit en union indissociable avec le corps et avec le corps du monde. Si l'environnement naturel s'appauvrit, c'est notre monde culturel qui s’appauvrit. Dès lors ne pourrait-on parler d'une écologie de l'âme ?

Luc Petton

 

 

Concept -  Luc Petton
Chorégraphie et mise en scène - Marilén Iglesias-Breuker et Luc Petton
Assistants - Marie-Laure Agrapart, Philippe Ducou
Recherche en studio -  Sun-A Lee, Yura Park, Guillaume Zimmermann
Scénographie -  Patrick Bouchain
Création musicale -  Xavier Rosselle
Création lumières - Philippe Berthomé
Costumes -  Sophie Jeandot
Consultant oiseaux -  Eric Bureau
Régie générale et lumière -  Sylvie Vautrin
Régie plateau - Patricio Gil
Réalisation décors -  Ateliers Devineau
Oiseleurs - Dune Pokrovsky et les animaliers du Zoo d'Amiens
Collaboration amicale de la philosophe Vinciane Despret
Avec -  Sun-A Lee, Yura Park, Luc Petton, Xavier Rosselle, Guillaume Zimmermann et les grues de Mandchourie
Administratrion - Taraneh Zolfaghari
Production/Diffusion - Jean-Marie Dumont
Organisation - Hélène Pallut

production - Compagnie Le Guetteur
coproductions - Théâtre national de Chaillot – Paris / Scène nationale de l’Oise en préfiguration – Espace Jean Legendre –Compiègne / Opéra de Reims / Parc zoologique d’Amiens Métropole/ Maison de la Culture d’Amiens, centre de création et de production  / L’Arsenal – Metz / La Briqueterie – CDC du Val-de-Marne
partenariats - Institut Français de Séoul /  L’Echangeur – Centre de Développement Chorégraphique de Picardie / Parc de la Tête d’or - Lyon /  Laboratoire Chorégraphique de Reims
Remerciements à  Xavier Julliot, Césaré - Centre National de Création Musicale et à M. Won-Il, Directeur artistique de l'Orchestre du National Theater of Korea
Avec le soutien de l’ADAMI

Danser avec des grues, comme le propose Light Bird, c’est passer du champs métaphorique au sens littéral, pour revenir au champs métaphorique.

Cette création chorégraphique s’enracine dans la volonté d’explorer d’autres modes de communication et de transformations des sentir, dans une nouvelle manière de se situer dans le monde et d’entretenir des relations avec des non humains. Le fait même d’explorer concrètement, en dansant vraiment avec des oiseaux, avec les années de travail, d’efforts, de risques, de soins de soucis, permet à cette création de replonger dans le champs métaphorique, celui-là même qui cherche de nouveaux modes de création de relations, de nouveaux régimes de sentir. La très grande réussite de cette création, outre sa très grande beauté et son intelligence, les effets qu’elle peut espérer en nous touchant, tient donc à ce voyage incessant entre d’une part, les significations métaphoriques sur lesquelles elle repose, d’autre part la réalisation concrète dans le réel des corps humains et animaux dansant et avec enfin un retour aux significations métaphoriques que cette réalisation concrète revitalise. Car c’est ainsi que cette création peut nous toucher, nous affecter : dans le « sentir » que là quelque chose est possible, que quelque chose se passe dans ce qui nous est montré, dans cette chorégraphie hybride, et que ce quelque chose est de l’ordre de la grâce. Ce spectacle, en d’autres termes, modifie, pour ceux qui accueillent, la possibilité d’être touché par cette grâce, dans tous les sens du terme, et par les possibles et les sentir possibles. Il modifie, intensifie, nos puissances et nos manières d’être affecté.

La très belle réussite de cette création tient donc à sa puissance de nous affecter, et cette puissance, je crois, est elle-même issue de la possibilité, pour les danseurs et les oiseaux, d’avoir pu expérimenter ensemble les possibilités de s’affecter et de découvrir ce qui affecte.

Vinciane Despret